A propos de The War Zone de Tim Roth

Par Jérôme

1.- The War Zone s’achève par un carton : " A mon père ". C’est à la fin du générique. Une bonne partie de la salle était déjà sortie. Ma voisine de gauche s’est étirée, puis elle est allé voir l’ouvreuse — c’est une de ses amies — qui attend que la salle soit vide pour nettoyer les allées. " Alors, tu as aimé ?... " " Je ne sais pas... Je te dirai dans une semaine, parce que là... "

2.- En fait, The War Zone ne parle pas de l’inceste. Car le personnage principal du film, ça n’est ni la fille ni le père. C’est le frère qui assiste à la scène. Sans le vouloir d’abord, dans l’attouchante chaleur d’un reflet de salle de bain, puis volontairement, dans le froid transperçant du Bunker. " Ils vont faire ça dans un Bunker ? " " Oui, il paraît... " " C’est pour ça que ça s’appelle The War Zone ? " " Je ne sais pas... "

3.- Il y a des scènes manquées dans The War Zone ; comme dans la vie. Mais il y en a qui restent, longtemps, inoubliables, comme un plat qui vous dégoûte à tout jamais d’un plat. A la terrasse du Buffalo Grill du boulevard des Italiens, je regarde l’affiche, sur le trottoir d’en face — ce visage encoigné dans la nuit. " Tu l’as vu, The War Zone ? " " Non... " " Ça ne te dit pas ? " " Non... pas vraiment. " " Parce que Gracianne m’a dit qu’il fallait absolument que j’aille le voir. "

4.- Ce dont parle The War Zone, donc, c’est du regard du frère sur sa sœur et sur son père, et du monde qui s’écroule quand il comprend. Il paraît que l’actrice a été découverte hors tout casting, dans les rues de Londres. " Je connaissais une fille qui s’appelait Farah... tu ne l’as pas connue ? " " Non. " " On était meilleures amies... Puis elle a dû être placée dans un foyer d’accueil... Je crois qu’à la fin, son père se la faisait quasiment tous les soirs... " " Tu l’as revue, ensuite ? " " Non... Mais tu sais, ce regard loin, loin... quand tu sais pourquoi elle te regardait comme ça, ça... ça n’est plus supportable... "

5.- D’abord il y a ces visages tuméfiés au début, et ce visage — celui du frère — qui reste ravagé par l’adolescence du scrupule. Il y a la scène du briquet où la fille, devant son frère, brûle son sein pour moins souffrir, et lui tend la flamme pour qu’il l’aide. " Ce sont les Amazones, non, qui se brûlaient le sein ? " " Oui... et qui tuaient leurs fils... "

6.- Il n’y a pas de onzième commandement qui interdise l’inceste et qui dise : " Tu ne goûteras pas la pudeur de ta fille. " D’ailleurs lorsque la fille dit à son père qu’elle n’est pas un garçon, et qu’elle le supplie de la prendre au moins comme il a pris sa mère pour qu’elle naisse, il lui répond qu’elle sait très bien que ça, il n’a pas le droit. " C’est qui, ce Tim Roth ? " " Je ne sais pas... un acteur, je crois. " " C’est son premier film ? " " Il paraît, oui... " " Et c’est interdit aux moins de 16 ans ? " " Oui... " " Bon, ça c’est plutôt bon signe... "

7.- En fait, The War Zone raconte encore la même histoire. Celle des quatre amours. L’amour violent sans tendresse qu’impose le père à sa fille. L’amour tendre sans violence qu’elle va chercher dans les bras de Lesbos à Londres. L’amour sans tendresse ni violence qu’elle va consommer, par principe, dans la grisaille terne de la lande. Et celui des romans et des rêves, cet amour fait de tendresses et de violences sans cesses entrelacées, et qui n’existe que dans les romans, et dans les rêves. " Elle est à quelle heure, la séance ? " " Attends, je regarde... 20h40. " " C’est génial, ça nous donne le temps de grignoter avant... " " O.K., on va où ? " " Je ne sais pas... je te suis ! "

8.- Il y a aussi la scène où le père, accusé par le fils de l’abus qu’il a pris sur sa fille, s’étouffe en jurant du nom même de son abus. " C’est la scène où il n’arrête pas de dire fuck you, fucking machin et fucking truc, pour dire qu’il n’a jamais sodomisé sa fille ? " " Oui... j’essayais de le dire plus poliment, mais bon... " " Et ça s’appelle comment, ça ? " " Quoi ? " " Le fait de ne pas pouvoir s’empêcher de ponctuer ses phrases d’obscénités ? " " Ah !... La coprolalie... "

9.- Et puis il y a la scène où le fils, après avoir filmé son père et sa sœur par la meurtrière exiguë du Bunker, jette au ressac le camescope et rentre. Comme si Tim Roth lui-même, après avoir monté le film, en avait jeté toutes les bobines, une à une, dans les latrines d’Hollywood. " Ça s’appelle comment, quand on s’imagine qu’on est seule à exister et que tout autour de soi, c’est juste un mauvais film ? " " Le "solipsisme". " " C’est ça, "être un fou enfermé dans un Blockhaus imprenable" ? " " Oui... c’est Schopenhauer, je crois, qui a dit ça. "

10.- Maintenant je sais pourquoi il n’y a pas de onzième commandement. Parce que quoi qu’on veuille, quoi qu’on fasse, toute femme, face à un homme, est une mère qui tue son fils, et tout homme, face à une femme, est un père qui abuse de sa fille. Et les complexes d’œdipe et autres fadaises ne sont que des tentatives manquées pour dire ça. " C’est quoi ce délire ?... " " C’est la chute de mon article sur The War Zone... " " Tu n’aurais pas pu choisir un autre film ? " " Eh, oh ! Qui m’a obligé à aller le voir parce que sa copine ouvreuse lui avait dit qu’il fallait absolument y aller ? " " Bon, ça va... Ça n’est pas une raison pour me parler comme ça... Je ne suis pas ta fille !... "