Sur Charlie et ses drôles de Dames de Mc G

Par Jérôme

"Ne fréquentez que l'élite"
Edgar Varèse

Il y a des personnes à qui l'on peut passer tous les défauts parce qu'elles ont toutes les qualités.

Il y a des personnes très belles. Elles ont une manière de vous regarder : un regard d'aigle qui couve sa proie comme une mère, une douceur trompeuse qui laisse au bon moment s'échapper la décharge électrique, et qui vous marque, à l'épaule, pour toujours. Elles peuvent être incapables de deviner qui est le coupable quand elles regardent un Colombo, incapables de monter un étage avec leurs courses à la main sans souffler ensuite sur le sofa pendant dix minutes, peu importe : elles sont parfaitement belles, même dans leur sottise, et même dans leur fatigue.

Il y a des personnes qui sont très fortes. Elles vous emmènent sur les pistes noires comme si elles allaient voir un film, pour le plaisir de frissonner, tranquillement assises sur leurs skis. Elles vous montrent du doigt la destination, tout en bas derrière les champs de bosses, et vous disent au revoir d'un sourire complice. Quand vous arrivez enfin, mort, elles sont assises sur leurs bâtons posés en travers des skis plantés dans la neige, en train de bronzer au soleil. Elles peuvent confondre Johann et Richard Strauss, et décevoir l'œil dès qu'elles n'ont plus ni lunettes de soleil, ni bonnet, ni baume sur les lèvres, ni bronzage, peu importe : elles ont la stature inépuisable de l'athlète, qui rachète la maladresse du profil et la faiblesse des cellules grises.

Il y a des personnes qui sont très intelligentes. Elles disent toujours les mots que vous vouliez entendre, que vous auriez voulu avoir dit sans avoir su le faire ; toujours le bon exemple quand vous ne comprenez pas, et toujours cette manière de ruiner ce qu'elles viennent de dire, et qui vous avait évidemment convaincu, pour le plaisir de vous montrer qu'elles sont toujours plus intelligentes qu'elles-mêmes. Elles peuvent porter des verres épais, gentiment cerclés de métal, et perdre leur regard dès qu'elles les enlèvent ; elles peuvent préférer rester assises des heures à lire ou à parler plutôt que de courir en jogging rose entre les arbres, peu importe : elles brillent de tous les pores de leur front, et leurs lèvres entr'ouvertes quand elles dorment n'ont besoin ni d'être belles ni d'être fortes.

Mais il y a des personnes qui ont tout pour elles, qui possèdent tous les avantages plastiques, physiques et intellectuels, et qui dardent leur sourire d'un muscle d'intelligence. C'est à elles que tout est permis.

L'angélique trinité de Charlie a tout pour elle : chacune de ses trois personnes est la plus belle, la plus forte et la plus intelligente. Et comme toutes les trois ont tout pour elles, bien sûr, elles peuvent tout se permettre, et elles en profitent.

Parce qu'elles sont plastiquement irréprochables, elles peuvent se permettre d'être aussi laides qu'elles le veulent : ridicules sous leurs couettes tyrolo-bavaroises, leurs kimono homéopathique ou leur voiles de salomés blondes et bridées. Qu'elles soient dans leurs salopettes américano-américaines ou sur une mobilette de collégien, elles n'en sont que plus belles lorsque, dans l'effet kitsch d'un coup de cheveux ou dans le moulant d'une combinaison de plongée, elles rafraîchissent nos mémoires en confirmant qu'elles auront toujours, en matière de plastique, le dernier mot.

Parce qu'elles sont physiquement inépuisables, elles peuvent se permettre toutes les défaillances qu'elles veulent : se prendre un bord de porte en plein front en rentrant leur courrier, ne pas pouvoir se retenir cinq minutes d'une envie pressante, jusqu'à en quitter une piste de danse, en tomber d'une table de kitchenette, ou s'en prendre les pieds dans les fils du caméraman ; ne pas supporter l'indélicat chatouillis du vibreur de son portable Peu importe : il restera toujours ce fuseau blanc moulant les athlétiques galipettes, cette manière arachnéenne de se coller au plafond pour éviter la mitraille, et ce combat, jambes tendues et poings liés sur une chaise, pour nous rappeler que n'est pas Hercule qui veut.

Enfin, parce qu'elles sont intellectuellement sans faille, elles peuvent se compromettre dans les plus absurdes sottises : révéler le nœud de l'intrigue dès le début du film, s'envoyer des brownies à la figure, mettre leur faux iris de travers, s'enticher d'un conducteur de barque de pêche ou d'un serveur de cocktails huppés, ou se pousser dans l'eau, sur la plage, pour le simple plaisir de s'éclabousser. Il n'empêche : c'est grâce à elles et à leur connaissances nautiques, informatiques et ornithologiques que nous pouvons encore téléphoner sans nous faire moucharder

Il y a donc une morale aux drôles d'anges de Charlie, c'est que pour avoir parfaitement le droit d'être laid, il faut être parfaitement beau ; que pour avoir parfaitement le droit d'avoir des faiblesses, il faut être parfaitement fort ; et que pour avoir parfaitement le droit d'être sot, il faut être parfaitement intelligent.