Sur JFK d'Oliver Stone

Par Jérôme

JFK est un film qu'il faut absolument revoir. D'abord parce que revoir le film fait partie du film. La première impression qu'il laisse, lorsqu'on l'a vu une première fois, c'est qu'on l'a déjà vu plusieurs fois, parce qu'on y revoit sans cesse la même chose, sans cesse les mêmes images, sans cesse différentes, de cette voiture, de ces fenêtres, de ces pigeons qui s'envolent au premier coup de feu.

Il y a dans JFK une esthétique du feston. On avance, on revient sur ce qu'on a dit, on avance un peu plus, on revient de nouveau, et l'on progresse ainsi : ce qui n'était qu'un homme au sol devient l'épileptique qui attire l'attention de la police et qui disparaîtra ensuite, sans laisser de trace. Ceux qui étaient des vagabonds sortant d'un train de marchandise deviennent des tueurs potentiels, puis "les" tueurs.

Pourtant, même si JFK se répète sans cesse et procède si lentement, il n'en reste pas moins non-vu à la fin de la première vision. Qui étaient - déjà - ces deux vieux qui se battent au début, dans un bureau. Que dit Garrison au milieu de ce carrefour, de ces immeubles qu'il désigne l'un après l'autre, au sujet de Oswald et de Cuba. Qui était cet homme que Garrison rencontre à Washington, au moment où le DVD qu'on avait loué étant rayé, sautait systématiquement un morceau de leur conversation. Quel était, du coup, cette histoire de décalage horaire en Australie. Et qui est, surtout, l'auteur du telex qui annonce l'attentat la veille du voyage à Dallas.

Le but de ces répétitions, ça n'est pas de rendre tout clair aux yeux du spectateur. Ces images qui se télescopent, qui changent perpétuellement de brillance, de teinte, d'angle et de forme, comme les paperolles interminables d'un dossier de justice : tout reste à reprendre, pas à pas, à reconstituer comme une journée très ancienne qui s'effiloche en bribes. Car le spectateur, dans JFK, n'est pas face à son écran 16/9, dans une chambre de bonne aménagée en Home Theatre avec une coupe de poire glacée et de chocolat fondant qu'il a montée avec ses amis de leur appartement du troisième étage. Il est dans la voiture de Kennedy - criblé d'image comme le président est criblé de balles.

Tout ce que le spectateur comprend, dans JFK, c'est ce qu'il ne comprend pas. Que l'on ait pu faire croire l'incroyable. Aussi vite. Aussi facilement. Et que l'on ne puisse pas comprendre qui voulait quoi. Et qui pensait quoi. De la guerre et de Cuba. Et qui servait qui contre qui et contre quoi. Oswald à Moscou. Oswald au milieu des vagabonds cubains. Oswald envoyant un telex pour prévenir le gouvernement. Oswald devant le téléphone muet.

Les spectateurs qui aiment les romans policiers n'aiment pas JFK. Car l'intrigue dans JFK n'a pas été imaginée par le scénariste. Elle ne prévoit pas qu'à la fin l'agent secret mette la main sur "le" coupable, que tout revienne dans l'ordre, et qu'il reparte vers une nouvelle aventure. L'intrigue n'est qu'une bribe complexe d'une totalité plus complexe encore et qui s'appelle le monde où nous vivons.

Il y a quelque chose que j'aime dans le personnage d'Oswald. C'est lorsque cet homme de façade, ce petit agent double, celui qui a su aussi bien prêcher le pour et le contre, sourire à droite et à gauche du même rictus faussement fanatique, celui-là qui se doutait qu'en face de lui, toujours, pouvait de trouver une autre façade, un autre agent double, laissant faussement dévoiler de faux secrets, lorsque celui-là comprend que ceux qui l'emploient, le seul point d'appui solide, le seul repère fixe dans l'embrouillamini de ses actes, que ce point d'appui, lui aussi, n'était qu'une façade et se jouait de lui comme lui de ceux dans les mensonges desquels il s'infiltrait : le téléphone ne sonne pas. Le telex a été détruit. Il est complètement impliqué dans l'affaire. Il est perdu.

La thèse de JFK n'est pas la thèse de Garrison. Car Garrison est ridicule dans sa plaidoirie et en plus, il échoue. Or le film, lui, n'est jamais ridicule et réalise parfaitement son but. Il montre que pour la mort de Kennedy - évidemment - il n'y a jamais eu de complot. Les conspirations et les complots sont les fantasmes préférés de ceux qui ont peur et qui cherchent, à tout prix, à se rassurer. Il n'y a pas de complots. Il n'y a pas de conspirations. Il n'y a pas un gouvernement qui décide de tuer son président pour conserver les bénéfices d'une économie de guerre. Il y a bien pire que ça. Il y a une complexité qui s'embrouille et que personne ne maîtrise. Une machine de faux pouvoirs qui échappe à tous et qui suit son cours chaotique sans que personne ne sache qui la meut car personne ne la meut. Il y a pire qu'un gouvernement qui complote. Il y a un gouvernement qui se laisse prendre dans le tournoiement d'une machine infernale jusqu'à ce qu'elle explose d'elle même sans plus personne - vraiment - qui la commande. Ce que l'homme de Washington vient raconter à Garrison, c'est une belle histoire, de celles qu'aiment les spectateurs de films policiers, et qui puisse encore plus éloigner Garrison de la vérité qu'il recherche.

D'ailleurs JFK ne raconte pas la plaidoirie de Garrison. Ce que raconte JFK, c'est le cauchemar de Kennedy dans la limousine de Dallas, sous le chaos des coups de feu. Cet emballement d'images où il se demande d'abord " qui me vise " puis sent qu'un monde entier le vise et cherche - un instant - à s'expliquer l'inexplicable en pensant forcément que tout vient de ceux qui lui sont le plus proche. Et ce cauchemar est un rêve, le vieux rêve qu'il y a bien une raison, un coupable, et qu'un homme se lèvera pour le confondre. Mais au moment où son cerveau s'échappe dans une étincelle, il comprend qu'il n'y a pas d'autres coupables - toujours - que soi-même. Et le film s'arrête.