Sur Jin-Roh de Hitoyuki Okiura

Par Christophe

Un champignon nucléaire. La wehrmacht qui défile dans les rues de Tokyo. En quelques images vous venez de comprendre que l'Allemagne a gagné la seconde guerre mondiale et que pour le faire bien sentir, elle s'est retournée contre le Japon et l'a envahi. La pellicule semble usée, les photos ont jauni, et pourtant vous êtes dans un dessin animé... Telles sont les premières secondes de Jin-Roh, film d'animation japonais de 1999, produit par l' équipe du grand classique Ghost in the shell et réalisé par l 'un des leaders de la nouvelle vague du cinéma d'animation nippon , Hitoyuki Okiura. Jin-Roh est en effet une rétrofiction , une histoire basée sur le "si" , mais s' appuyant sur une logique implacablement cohérente.

...30 secondes et 15 ans plus tard ; l'occupation est finie, c'est le décollage économique, avec les voitures type "trabant" et les policiers dans leurs volkswagen coccinelles grises... L'Etat dont on ne sait rien ou si peu, a à faire face à l'agitation populaire des laissés pour compte, et aux partis politiques interdits dont les rares survivants se sont groupés dans une sorte de résistance, nommée "La Secte". Les blindés allemands de la seconde guerre mondiale, désarmés et repeints en bleu marine, les policiers anti-émeute ne suffisent pas à contenir toute cette agitation... alors existe la POSEM, police spéciale, et en son sein des unités de choc, dites "unités Panzer"...

Avec une vision tout à fait crédible des techniques allemandes de la seconde guerre mondiale, Hitoyuki Okiura, en a fait des êtres terrifiants ; casque allemand, masque à gaz dont les verres ronds, dotés d'un systême d'amplification de lumière, émettent une lueur rouge à glacer le sang, armure pare-balles et terrible mitrailleuse Mg 1942 à la hanche...

Mais voilà, la secte est bientôt totalement éradiquée, et quand commence l' action, les "Panzer" vont remplir ce qui semble être leur dernière mission... d'autant plus que l'un d'entre eux, Fusé (prononcer Fou-zé) commet une faute grave lors d'une intervention dans les égouts...

Et attention, ce ne sont que les premières minutes...

C'est dans des décors superbes de réalisme et de justesse historique, avec une qualité graphique exceptionnelle et que même ses détracteurs saluent, que nous suivons Fusé au sein d'une intrigue dense mais cohérente, pour ne pas dire absolument implacable quand à son déroulement. A l'intrigue policière (certains disent même d'espionnage), se mêle une histoire d'amour, un rappel de la morale de la fable du petit chaperon rouge, et une réflexion très profonde sur cette génération issue de la guerre et de l'occupation, qui n'a d'autre débouché que la violence, qu'elle soit d'actes ou de sentiments (et ce sous le couvert de la plus grande réserve...).

On vous le répète, c'est bô... c'est beau de qualité graphique, avec enfin des japonais qui ont des têtes... de japonais, des décors, uniformes, objets pensés avec une recherche évidente, et surtout avec une réalisation à couper le souffle. Des plans d'anthologie, notamment lors des 2 scènes d'action du film, lesquelles sont courtes, avec peu de personnages, mais laissent le spectateur cloué sur son siège, littéralement fusillé. La réalisation a été poussée à un perfectionisme tel, à la limite du maniaque, que les dessinateurs se sont ingéniés à rendre de façon parfaite, dans les moindres détails, y compris les bruits, les armes à feu, très présentes dans le film... certains, amateurs, spécialistes, historiens, connaissent tel fusil d'assaut allemand fabriqué à 500 exemplaires en 1945... Dans Jin-Roh, les policiers en on, s'en servent, les démontent, et tout est parfaitement respecté! Alors que seule une proportion infinitésimale du public s'y intéressse ou peut seulement percevoir ce travail... Et puis d'un avis unanime, la musique est superbe...

Un bijou, donc ; Un travail d'orfèvre où les pauses philosophiques ou sentimentales de l'intrigue ne servent en fait qu'à la nourrir ou à la dissimuler, où chaque regard compte, où les gestes peuvent être empreints d'une douceur toute enfantine, et ou pourtant la bestialité se dispute à l'animalité de certains personnages (le petit chaperon rouge on vous dit...).

Un spectacle sur grand écran, une intrigue complexe à appréhender chez soi, une belle histoire triste... Une jolie femme qui joue dans un jardin d'enfant, un pistolet mauser C96, un exemplaire du petit chaperon rouge en allemand, les gerbes d'eau soulevées par l'impact des balles, comme la course d'un monstre invisible et implacable, une paire d'yeux rouges qui se détachent dans l'obscurité...

Peu de spectateurs ont détesté Jin-Roh ; soit on aime, et alors vraiment, soit reste le souvenir d'un film beau, certes, mais sans plus... En fait je dirais que ce film laisse la place à la sensibilité de chacun, à condition d'être un peu ouvert aux thématiques qu'il aborde ; c'est à chacun de voir (et d'abord de le voir !)... j'ai eu la chance de le voir deux fois, ce n'est que la seconde que j'ai vraiment tout "senti"... mais sans-doute suis-je un peu plus lent que les autres? :-) C'est pour ça que pour mes semblables, j'ai rédigé ce petit mode d'emploi...

En attendant les resssorties inévitables au cinéma, à l'occasion de soirées thématiques, la cassette de Jin-Roh est disponible, hélas en VF... celle-ci est pour le moins satisfaisante, mais les voix japonaises sont si belles et si en rapport avec les personnages... La solution est le DVD, il est paraît-il sorti, je ne l'ai pas trouvé... et je n'ai pas, comme beaucoup, de lecteur DVD !