A propos de Bienvenue chez les Chtis

C'est l'histoire d'un type du sud qui est muté dans le Nord. Désespéré, il tente de se suicider en balançant sa voiture au fond d'un ravin. Il survit mais est plongé dans un profond coma. Alors que les médecins se voient forcés de lui ôter les deux jambes, horriblement mutilées lors de l'accident, son subconscient lui raconte l'histoire qui aurait pu être la sienne, peut être...

D'abord, il y a sa femme. Elle est évidemment magnifique, un vrai rêve, pur produit de son imagination.... Alors que le chirurgien commence à couper, je vous en supplie, ne coupez pas mes jambes, la réalité s'insinue... Cette femme magnifique n'est pas très agréable, peut-être dépressive, mais il en est fou. Il est muté à Bergues, dans le Nord. Il en a sans doute entendu parler lors d'une émission culinaire parlant de cuisine flamande où l'on présentait le Brueghel, je ne sais pas. Bien sûr, elle refuse de le suivre là haut. Elle est un peu comme ces apparitions de l'Echelle de Jacob, elle est ce qui, tout au fond de son être, refuse son destin.

Bien entendu, il est pétri de préjugés... Il fait froid, là haut, il pleut sans arrêt, les gens sont arrièrés. Pendant ce temps, le chirurgien continue sa découpe, avec des gestes précis. Il fait chaud, dans le bloc. Un peu de sueur coule sur la jambe du patient. Soudain, alors qu'il vient de passer le panneau Bienvenue dans le Nord, c'est toute l'eau du ciel qui s'abat sur lui.

A l'arrivée à Bergues, c'est bien sûr Dany Boon qui l'accueille. Il aime bien Dany Boon, il a vu plusieurs fois son spectacle, sur le téléviseur du salon. Quand il prend l'accent du Nord, c'est à mourir de rire, même si l'on ne comprend pas toujours tout ce qu'il raconte.

Bien sûr, malgré tout, notre héros est un brave type. Il le sait au fond de lui. Il sait que bien sûr, dans le Nord, il fait beau parfois. Que parfois, il n'y pleut pas. Et puis surtout, il le sait, ces gens du nord ont dans le coeur le soleil qu'ils n'ont pas dehors. Ca il en est certain. Et d'ailleurs, c'est précisément ces gens là, qu'il rencontre, monsieur. Ces braves gens, ils sont un peu le chiropracteur, de l'Echelle de Jacob, il sont tout de qui, tout au fond de lui, accepte son destin...

Bien entendu il s'aveugle : en pensant détruire des clichés, il ne fait qu'en ajouter d'autres... Bien entendu. Mais là n'est pas le propos, non. Acceptera-t-il son sort? Tandis que le chirurgien fatigue, et tranche, il s'enfonce de plus en plus profondément...

L'accent du Nord, il l'a déjà entendu plusieurs fois... Dany Boon, dans son spectacle, mais aussi lors d'interviews de gens miséreux au journal télévisé. Il a toujours trouvé que sa mère ressemblait à Line Renaud, avec ses yeux d'un bleu frigorifiant. Alors bien sûr l'accent qu'il lui prête alors qu'elle apparait dans le film semble faux. Il sait pourtant que Line Renaud a des origines nordistes, mais que voulez vous.... Des décennies de vie parisienne lui auront probablement enlevé jusqu'à la capacité de reproduire l'accent de ses origines, ou alors il se mélange un peu les pinceaux, qui sait... Après tout le chirurgien ne vient il pas de sectionner complétement sa jambe gauche?

Et puis il y a cette fille, entêtante... Cette fille qui travaille à la poste. Il la voyait tous les matins en allant chercher le courrier pour la petite entreprise où il travavaillait. Cette fille apparait bien entendu dans son rêve comateux. Son accent à elle ne ressemble à aucun autre. Personne là haut n'a jamais eu précisément cette façon d'exagérer une phrase, de déformer un patois... Mais il la désire en secret, depuis près de deux ans. Elle est tellement belle et douloureuse qu'un Brel l'aurait probablement appelée Mathilde. Une douleur intense. L'anesthésiste augmente la dose, quelque chose ne va pas, on dirait que le patient s'agite, se réveille.

Sa femme veut le rejoindre, c'est la catastrophe. Elle va tout gâcher. Son amour pour la jeune postière, sa destination. Vite, l'emmener aux Enfers, lui faire goûter la peur couleur sang. Lui donner à voir le spectacle des damnés. La forcer à disparaître. Mais rien n'y fait. Il est temps d'accepter l'inacceptable. Il est temps de solder les comptes. Temps de donner la jeune postière à Dany Boon, la laisser en arrière. Temps de prendre une voiture pour rentrer, temps d'accepter la fin.

On ne comprendra jamais pourquoi, mais alors que son coeur arrête de se débattre pour ne jamais redémarrer, un sourire se dessine au coin de ses lèvres mortes.